07/03/2023
Octobre 2021...bientôt une biographie: interview de son auteur Bruno Béthouart
- Bruno Béthouart, vous avez achevé une biographie d’André Diligent, un énorme travail d’enquête et de rencontres. Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec André Diligent ?
Parfaitement. Comme je venais d’obtenir la licence d’histoire en juin 1971 et que je souhaitais faire une recherche en histoire contemporaine avec le professeur Yves-Marie Hilaire, celui-ci m’a proposé comme sujet « l’histoire du MRP dans l’arrondissement de Lille » qui, à lui seul, représentait les 2/3 des adhérents de la Fédération du Nord. Comme ce parti s’était « mis en sommeil » en 1967, il n’y avait pas de sources dans les archives publiques mais certains responsables en possédaient quelques-unes. L’une des premières personnes qu’il m’a conseillé de rencontrer était André Diligent. Celui-ci, dès l’été 1971, m’a très bien accueilli et m’a confié la clé de l’armoire de ses archives personnelles dans son grenier !
- Vous êtes connu comme historien pour avoir mené des travaux sur le Mouvement Républicain Populaire (MRP) après-guerre, mouvement politique qui puise ses sources dans les penseurs de la démocratie-chrétienne à la française. André Diligent avait une forme de nostalgie de cette époque. Qu’est-ce que cette nostalgie traduisait au-delà de l’attachement aux idées de son père Victor Diligent ?
Comme vous le faites justement remarquer, l’attachement d’André Diligent à la Démocratie chrétienne passe évidemment par son père, Victor Diligent auquel je consacre un des premiers chapitres de l’ouvrage. André l’admirait et s’en est toujours inspiré. Le sous-titre de l’ouvrage est éclairant de ce point de vue : « Au nom du Père ». La conception très désintéressée, très transparente qu’avait André Diligent de l’exercice de l’action politique était en très grande symbiose avec l’esprit démocrate-chrétien : pas de sectarisme, ni à droite, ni à gauche. Le docteur Defaux qu’il admirait, « médecin des pauvres » à Lille, grand résistant aux occupants nazis, reprend les propos du fondateur du Sillon, Marc Sangnier qui affirmait que « nous ne sommes ni à droite, ni à gauche mais au centre et en avant ». Pour lui, il existe une bonne manière de « faire » de la politique qui recoupe les valeurs évangéliques. D’ailleurs, à la question que je lui ai posée sur son socle de conviction pour sa vie politique, il a tout simplement répondu : « Les Béatitudes, tout y est ».
- Un jour, la fin de sa vie approchant, André Diligent, soucieux de transmission, écrit « La Charrue et l’Etoile» et vous demande d’en écrire la préface. Qu’est-ce qu’André Diligent cherche à transmettre à de nouvelles générations ? Comment s’y prend-il ? Et y parvient-t-il ? Il parle d’une forme de vide politique à combler…c’est très fort comme constat.
Ce fut un très grand honneur pour moi et une vraie marque de confiance que de se voir proposer la rédaction de la préface de cet ouvrage auquel, parvenu à l’orée de sa vie, il tenait par-dessus tout. J’avais titré ce petit texte : « Dans les pas d’un témoin, d’un héritier » et lui-même avait dédicacé cette œuvre : « à mon père et à ma mère ». Il a, en octobre 2000, toujours autant qu’avant, la certitude que la politique est faite d’un ensemble de convictions qui proviennent pour l’essentiel, du socle des prédécesseurs et auxquelles il faut trouver un langage adapté à notre temps. Cet ouvrage qu’il a eu bien des difficultés à faire éditer parce que « l’air du temps » n’était plus, alors, au rassemblement au-delà des clivages droite-gauche résume bien son ambition : montrer qu’il existe un courant politique d’inspiration chrétienne et ouvert aux « hommes de bonne volonté » capable de s’ajuster au monde issu de la Révolution française.
- Une biographie, c’est un travail dans le temps et multidimensionnel. Il y a différentes sources (écrites, rapportées, conférences, journées d’étude, etc.) et aussi et c’est une chance, les confidences de l’intéressé. Quels types de confidences André Diligent a pu vous faire de son vivant et comment cela se traite-t-il dans une biographie ?
L’absence d’archives officielles est loin d’être un obstacle à la réalisation d’une biographie. Je l’avais déjà constaté dans le passé en réalisant en 1996, à Artois Presse Université, la présentation d’une personnalité moins connue, moins médiatisée : Jules Catoire, un syndicaliste chrétien, devenu résistant puis parlementaire MRP, très proche de Robert Schuman. Avec André Diligent, je disposais non seulement de ses archives personnelles, certes un peu dans le désordre dans les années 1970, mais aussi des comptes rendus de ses activités de parlementaire puis de maire. Le travail de préservation de ces fonds a été l’œuvre de Pierre Kerlévéo et la médiathèque de Roubaix a sollicité Coralie Ammeloot pour opérer un classement les rendant désormais beaucoup plus accessibles. Mais surtout, ce qui fait le danger mais aussi l’intérêt de l’histoire très contemporaine, c’est la possibilité de rencontrer la personne concernée et de pouvoir disposer du regard de ses proches, de ceux qui l’ont connu, voire combattu. À part quelque réflexion ou jugement très ponctuel, j’ai pu à la suite des rencontres successives que j’ai eues avec lui reprendre pratiquement tous les éléments intéressants dans le cadre d’une biographie.
- L’attachement à des idées ancrées dans le 19ème et le 20ème siècle semblait cependant faire d’André Diligent un précurseur sur un certain nombre de sujets du 21ème siècle : l’écologie, l’antiracisme, l’Europe, les médias, etc. Est-ce qu’il avait conscience de cela et comment a-t-il pu le concilier avec une forme d’engagement à droite et au centre ?
Il y a deux questions dans votre demande : la première porte sur les sujets qui sont aujourd’hui porteurs alors qu’ils ne l’étaient pas durant l’essentiel de son temps en responsabilité politique : la question la plus évidente en la matière est son souci d’un respect de la nature, des équilibres au sein de notre planète et tout particulièrement de l’agriculture biologique. Mais André Diligent a également montré l’exemple en matière d’accueil des immigrés dans sa ville de Roubaix où il était respecté, par les populations venues du Maghreb qui appréciaient son sens de l’accueil mais aussi son exigence. Sur l’Europe, il a très vite saisi les dangers de son caractère technocratique en voulant l’ancrer sur les réalités comme Robert Schuman. Quant aux médias, il avait immédiatement compris le poids des lobbies pour manipuler l’opinion.
Quant à la seconde question sur son engagement à droite et au centre, elle ne dépendait pas de lui en ce sens que François Mitterrand, en choisissant une alliance avec le PCF, fermait la porte aux centristes. Cependant, il m’a confié que si Jacques Delors avait été candidat à la présidence de la République en 1995, il aurait pris parti pour lui.
- André Diligent a détenu beaucoup de mandats sans exercer de fonctions exécutives autres que celle de Maire de Roubaix qui lui suffisait amplement. André Diligent était-il vraiment ambitieux pour lui-même ? Il s’est battu pour Roubaix mais pas pour être Président de la communauté urbaine par exemple. A-t-il vécu des frustrations ?
Comme l’a fait remarquer son collaborateur au CEMD (Centre d’Etudes Municipales et Départementales), Roger Delelis, « il avait de l’ambition pour ses idées mais non pour sa personne ». Combien de fois a-t-il accepté de passer après d’autres dans le cursus honorum ? Le fait de défendre des causes « dangereuses », « minées » comme les résistants du Mouvement La Voix du Nord au risque d’être ostracisé et bâillonné, ou de combattre la publicité clandestine au Sénat, démontre bien que les idées, les convictions l’emportaient clairement sur la recherche des places. Quant à la Communauté urbaine de Lille, juste après son succès aux municipales de Roubaix en 1983, c’était peut-être « jouable » face à Arthur Notebart. D’ailleurs il l’a regretté par la suite en considérant que Lille a vraiment tiré la couverture à elle ! La principale frustration venait en grande partie de la difficulté des personnalités comme lui de trouver des équivalents soit à droite, soit à gauche pour bâtir une société plus respectueuse de chacun, à la manière de Marc Sangnier, sa référence de ce point de vue.
- Une partie de l’histoire retiendra un côté « candide » d’André Diligent. Est-ce le cas au regard d’une vie entière qui puise aussi beaucoup dans les résistances, toutes les formes de résistances ?
La formule, « aux innocents les mains pleines », lui convient assez bien au regard de son parcours politique. Certes, il n’a pas obtenu de fonctions importantes en dehors de celle de maire de Roubaix et de sénateur mais qui a oublié dans le Nord celui qui a osé affronter le géant de la presse La Voix du Nord ? Qui ne se souvient pas de son combat contre la publicité clandestine ? N’est-il pas en refusant les clivages droite-gauche très en avance sur son temps ? Les Français aiment ces personnes qui n’hésitent pas à mettre en jeu leur petit « pré carré » pour servir une grande et belle cause.
- Evidemment, la lecture de la biographie donnera pour la première fois une « image complète » d’un homme politique majeur du Nord. Est-ce qu’il y a encore des sujets à creuser et à explorer s’agissant d’André Diligent ?
Personne n’est vraiment capable de faire la présentation exhaustive d’une personne dont il veut tracer le portrait : ainsi en est-il d’un mari de son épouse, d’un fils de son père et vous devinez qu’avec une telle personnalité, il est évident que bien des aspects pourraient encore faire l’objet d’investigation. D’abord sur sa vie personnelle en obtenant des documents ou confidences de son entourage familial et amical, mais aussi et surtout sur ses combats politiques locaux, régionaux et nationaux ainsi que sur l’impact qu’il a eu sur Roubaix et dans les instances qu’il a fréquentées.
- Une biographie, c’est aussi un instrument de connaissance et recherche pour des étudiants et des enseignants. Est-ce que le centrisme intéresse finalement les chercheurs, les historiens, les politistes, les philosophes, les théologiens ? Est-ce que ce n’est pas en soi une matière difficile à étudier aussi parce que la religion tient une place prépondérante dans l’histoire des idées centristes ?
Belle question mais bien délicate à traiter ! Emmanuel Macron en osant se dire en même temps de droite et en même temps de gauche est-il centriste ? Dans cette question figurent deux interrogations : le centrisme est-il une praxis, une stratégie voire une tactique et le président actuel semble s’en accommoder à l’inverse d’André Diligent. Le centrisme est-il un point d’ancrage non seulement d’ouverture aux horizons différents mais aussi plus profondément une conviction que l’équilibre, la mesure est le propre de l’homme en s’appuyant sur des fondements qui ont fait leurs preuves, sur « une certaine idée de la France » et de l’Europe des piliers propres à une civilisation. Si comme le disait Tocqueville, la démocratie, « c’est la combinaison de l’égalité et de la liberté » auxquelles André Diligent ajouterait la fraternité, alors André Diligent est un vrai centriste démocrate.
- Vous êtes président de l’association des Amis d’André Diligent, vous avez succédé au Professeur Ribet qui était professeur de chirurgie et ami de très longue date d’André Diligent. Quel type d’ami était André Diligent ? Quel type d’ami avait André Diligent et quel père a-t-il été pour son unique fille Anne ?
André Diligent avait pour le professeur Ribet une très grande estime d’abord parce qu’il le savait compétent dans son domaine médical, ensuite parce qu’il était « innocent » en matière politique et que par conséquent, il savait qu’il pouvait lui demander d’être sincère avec lui. Les amitiés d’André Diligent sont souvent liées à son affect, à son intuition : il recherche des êtres humains transparents, honnêtes et sans manière. Très attaché à sa liberté d’esprit, il a horreur des clans, des imbroglios médiatico-politiques. Finalement le personnage est assez secret : il a dû affronter des épreuves terribles comme la perte de son cher père très jeune, celle de son épouse et comme vous le dites la douleur de voir sa fille Anne, son unique, handicapée. La manière dont il s’est battu pour participer grandement au développement de l’institut Les Lauriers où a vécu sa fille démontre la qualité humaine de cet homme qui a eu au départ, mais qui pourrait lui reprocher ? beaucoup de difficultés à accepter cette situation.
- Il y a encore beaucoup de gens qui pensent ou se réclament d’André Diligent. Mais le « diligentisme » n’existe pas en soi. On évoque sa mémoire, le centrisme, des réalisations. Qu’est-ce que votre association peut ouvrir comme nouvelles pistes après la publication d’une biographie ? Dit autrement, est-ce un aboutissement ou le début de quelque chose ?
Comme une biographie ne peut en aucun cas « faire le tour » d’une personnalité et tout particulièrement de ce Roubaisien ardent patriote en même temps qu’européen convaincu et écologiste avant l’heure, il existe encore bien des chantiers à ouvrir, à creuser. Ceux-ci ont trait d’une part à sa personne et aux démocrates chrétiens de cette région septentrionale en lien avec le reste de l’Europe du Nord-Ouest mais aussi d’autre part aux questions qu’il a traitées, aux combats qu’il a menés. En guise d’exemples, en voici quelques-uns : comment se défaire de la gangrène des lobbies qui dénaturent ou déforment la vie démocratique ? Où trouver le point d’équilibre entre justice sociale et esprit d’entreprise ? Comment rassembler autour d’un pôle des personnes qui croyaient au ciel et d’autres qui n’y croyaient pas ? Comment se battre contre la société de consommation sans tomber dans la dictature soit sanitaire, soit écologique !
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