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02/02/2019

Les racines d'un "rebelle" centriste

défis du futur.jpgLors d'une journée mémorable qui s'est tenue le vendredi 1er février 2019 au Palais du Luxembourg, des historiens ont creusé les racines d'André Diligent et son œuvre parlementaire. Nous publions en ce lendemain de journée la contribution de Bruno Béthouart qui est revenu sur les journées d'étude depuis 2012. Que nous ont-elles appris de nouveau sur André Diligent ? A lire en cliquant sur ce PDF.

Par ailleurs, Jean-Marc Guislin a très précisément ciblé les racines et l’épanouissement d’un positionnement politique original. C'est un travail conséquent dont nous vous partageons une première version ci-dessous avant édition des actes.

Les vidéos des interventions seront en ligne  prochainement sur le site de la médiathèque de Roubaix. En attendant, vous pouvez aller sur le site de la médiathèque visionner les vidéos des années précédentes. C'est souvent inédit ! www.bn-r.fr rubrique archives municipales puis archives privées.

Nous publierons les actes avec l'ensemble des contributions, notamment celles de Christophe Bellon qui a apporté une contribution majeure sur l'œuvre parlementaire d'André Diligent (Député, Sénateur, Député européen) et Jean-Pierre Delannoy qui à partir des archives a apporté à la connaissance historique du mouvement réformateur et de la fédération des réformateurs.

François Bayrou, Pierre Méhaignerie, Jean-Marie Vanlerenberghe, Charles-Ferdinand Nothomb et Olivier Henno ont tous apporté des témoignages précieux, sensibles. Nous les partagerons également.

Les journées d'étude formule 2012 à 2019 se terminent mais l'association doit réfléchir à de nouvelles modalités de participation et de contribution. Elle a réuni avec le temps des matériaux historiques utiles à une vision d'avenir.

N'hésitez pas à adhérer à l'association des Amis d'André Diligent pour poursuivre un travail dont André Diligent penserait qu'il est utile.

 

Les racines et l’épanouissement d’un positionnement politique original.                                           

« Le candide du Sénat », « Le primitif flamand », voilà deux expressions que l’on a souvent trouvées dans la presse pour présenter André Diligent. Elles sont évidemment réductrices et caricaturales. Sans doute l’adjectif « anarcho-chrétien », qu’il utilise lui-même, convient-il mieux car il résume la complexité et l’originalité de cet homme libre et d’ouverture, mais attaché à un certain ordre, de ce catholique volontiers critique à l’encontre de la hiérarchie ecclésiastique et de nombreux coreligionnaires.

 

Pour mieux connaître cette personnalité remarquable, cet « homme politique avisé et patelin » (Giblin Delvallet), seront d’abord évoquées les origines familiales et universitaires de ses convictions, également forgées au temps de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance. Cette expérience formatrice motive son engagement politique, deuxième partie de cette étude qui permettra de constater que la fidélité à ses valeurs et à son parti ne l’empêche nullement d’être parfois audacieux et visionnaire, comme il ressort de ses propositions dans Les Défis du futur. Cette relative marginalité pose un certain nombre de questions. Enfin seront dégagés les éléments-clés de son positionnement - l’humanisme chrétien, l’esprit de tolérance et la volonté de rassemblement, l’enracinement local - qui en font, décidément, un acteur un peu à part sur la scène politique française.

 

I Les racines[1]

A Le terreau familial et local

André Diligent (AD) est un humaniste chrétien du Nord, en contact avec la misère, les inégalités sociales et la rudesse des conditions de vie.

 

*L’influence du père. Comme l’a écrit Bruno Béthouart, « l’ombre de Victor Diligent, son rayonnement, sa force de persuasion, ont marqué le fils d’une manière indélébile ». Avocat au barreau de Lille, leader régional du Sillon, conférencier aux Semaines sociales, Victor Diligent est passionné par la question sociale, le syndicalisme, et participe à de nombreuses œuvres. Il est aussi animateur du Parti démocrate. Le fils, devenu lui aussi avocat, a donc pu ressentir « l’obligation de ne pas déchoir … de reproduire l’excellence de son ascendance. Cette contrainte intériorisée [a pu] prendre la forme d’une vocation » (Jean-Louis Briquet), d’un devoir comme l’illustre ce mot lancé à la tribune du congrès de Lille, en 1989, à un Bernard Bosson, réticent à s’enrôler sur la liste Veil : « Il est des noms qui sont des devoirs. Tu es le fils de ton père. Quand on porte un héritage, on en assume la responsabilité ! ». AD, à sa manière, illustre « le caractère familiariste de l’engagement des hommes incarnant le courant de pensée démocrate-chrétien imprégné de catholicisme social.

 

* Le catholicisme social. Sa naissance dans une famille où le catholicisme est résolument social, conformément à l’enseignement de Léon XIII (Rerum Novarum, 1891) est fondamentale dans son parcours. Corriger les abus du capitalisme, réconcilier les catholiques avec la démocratie et la République (Au milieu des sollicitudes 1892) en sont les grandes idées qui sont notamment promues par…

 

* Le Sillon. Ce mouvement créé par Marc Sangnier entend mettre en accord le catholicisme et la République, définie comme « le régime qui tend à porter au maximum la conscience ainsi que la responsabilité civique et sociale de chacun, en lui permettant dans la mesure de ses capacités et de ses forces, de prendre une part effective à l’élaboration des affaires communes ». Cette formule revient constamment dans les propos, écrits ou oraux d’AD. Les sillonnistes ont également retenu le message des premiers catholiques sociaux, ceux de 1848. AD aime à citer Lacordaire : « Entre le faible et le fort, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». Il est également sensible à l’engagement européen de Marc Sangnier que partagent certains abbés démocrates.

 

*Les abbés démocrates. C’est surtout l’œuvre et la pensée de l’abbé Lemire qui l’ont marqué. «  Je l’ai souvent rencontré lorsque j’étais tout jeune car il était très lié à mon père ». AD en parle comme d’ « un homme politique hors du commun… intègre, un farouche défenseur de la justice sociale, d’une intégrité sans faille, un ancêtre du courant écologique», Il salue ces prêtres démocrates, « des apôtres, proches du peuple et des hommes d’action qui s’intéressent aux problèmes concrets » : construction d’églises nouvelles, lutte contre les taudis, encadrement des jeunes ».

 

*Quelques grands intellectuels  ont également influencé AD. Parmi eux peuvent être cités : Charles Péguy ; Maurice Blondel; Jacques Maritain Teilhard de Chardin et bien sûr Emmanuel Mounier, théoricien du personnalisme individuel et communautaire. L’homme n’est pas isolé, il est membre de différentes communautés, la famille, la cité, la patrie et il a besoin de ces communautés pour s’épanouir, il lui faut donner et recevoir pour s’accomplir. Pour Mounier comme pour Maritain, la morale est à la base de l’action politique. L’ont influencé encore Etienne Borne et certains professeurs de la Catho.

 

B La Catho

AD y est étudiant à la Faculté libre de droit à partir de 1937.

*Cet établissement est un foyer intellectuel très vivant où un solide travail d’approfondissement de la doctrine sociale de l’Eglise est effectué et où le syndicalisme ouvrier chrétien est conseillé et encouragé.

*Cet effort de réflexion doit beaucoup à quelques professeurs Joseph Danel, Louis Blanckaert et Eugène Duthoit. Ce dernier, très lié à Victor Diligent est directeur de l’école des Sciences sociales et président des Semaines sociales.

*La Catho est en lien étroit avec les mouvements d’action catholique spécialisée (notamment la JOC, née en 1927 dans le quartier de Moulins) et les Equipes sociales, mouvement d’éducation populaire, où se rencontrent étudiants et jeunes ouvriers et auxquelles participe AD. On s’y interroge notamment sur les mutations industrielles et la décolonisation qui seront accélérées par la Seconde guerre mondiale.

 

C La guerre et la Résistance

« La conscience politique d’AD naît réellement avec la guerre et la Résistance ».

*En 1940, le soldat AD est affecté à Marrakech, alors qu’il a demandé à se rendre sur des fronts plus exposés, Selon Jean Heuclin, pour André, « l’expérience du feu a été virtuelle » et, comme pour son père, l’expérience de la guerre et de l’armée a été marginale, sublimée, idéalisée ». Revenu en métropole, en octobre 1942, il s’engage vite dans la Résistance.

*L’entrée en Résistance semble normale pour beaucoup de chrétiens et donc de catholiques qui ont été avertis des dangers du totalitarisme et spécialement du nazisme : par les encycliques de Pie XI, les écrits de Maritain, les articles de Georges Bidault dans l’Aube, l’attitude d’Henri de Kerillis, Ces doctrines totalitaires amoindrissent le rôle de l’individu dans la société, privilégient le groupe, persécutent les croyants et envisagent délibérément de faire la guerre.

On retrouve ainsi de nombreux chrétiens dans la Résistance (mais Liénart et Duthoit) des personnalités connues, d’autres moins comme, dans le Nord - Pas-de-Calais, Jules Catoire, Jean Catrice ou Julien Lorthiois. C’est au contact de ces deux derniers qu’AD se met au service de l’OCM. A la Libération, il est commissaire régional général adjoint à l’information.

*L’épreuve de la guerre et l’action clandestine l’ont persuadé du bien-fondé de l’engagement politique qui est le prolongement logique de la lutte menée entre 1942 et 1944 et qu’il va poursuivre jusqu’à son décès, mais un engagement où, à l’image de Noël Barrot, on apprend plus à servir qu’à paraître, et par lequel il entend, « refuser quelle que soit sa couleur, toute forme de fascisme, de dictature, de totalitarisme, [et] refuser toute alliance avec ceux qui s’en réclament ».

 

 

II L’engagement

A Partisan

1Le MRP

Il n’est pas étonnant qu’AD adhère dès 1944 au MRP dont le RIC (Résistants d’inspiration chrétienne) créé par Catrice et Catoire a été « une sorte d’antichambre dans la région du Nord ». Ce nouveau mouvement correspond à ses aspirations comme à celles de beaucoup de jeunes chrétiens alors (AD a 25 ans). Sa nouveauté, son programme « la Révolution par la Loi », sa forte orientation sociale, son désir d’installer une paix solide par l’union de l’Europe et d’établir une démocratie authentique, son refus de la dénonciation permanente, le désintérêt, la poursuite d’un idéal ... le séduisent. AD y trouve une solidarité, une fraternité, une « âme commune » , comme il aime à dire.

Il s’investit dans l’importante section de Roubaix, puis à partir de 1958 dans la fédération du Nord où il prend la succession de Jean Catrice comme principal animateur. La fédération du Nord bénéficie du dynamisme des Equipes rurales et ouvrières conforté par la relative puissance de la CFTC, ce qui contribue sans doute à orienter AD vers le centre gauche.

Conscient des faiblesses du mouvement, le courant « Rénovation démocratique », souhaite le revitaliser et AD donne trois articles à son bulletin à partir de janvier 1959, mais sans être membre du courant.

Il suit le MRP dans son ralliement à De Gaulle en 1958. De 1958 à 1962, le MRP connaît dans le NPC « une renaissance militante et électorale » qui apporte « un renouveau incontestable » dont profite AD qui est élu député en novembre 1958. Il fait partie des nouvelles têtes et symbolise un « nouveau MRP plus ardent, plus incisif » (Bruno Béthouart). Il suit aussi son parti dans sa rupture en 1962. Toutefois certains responsables, comme Pierre Pflimlin, veulent freiner la tendance antigaulliste à l’intérieur du MRP qu’incarne notamment Jean Lecanuet, son président depuis 1963.

 

2 Jean Lecanuet et le Centre démocrate

AD est favorable à l’élu de la Seine-Maritime qui, très tôt, dès 1959 avec Joseph Fontanet, a songé à réaliser un autre parti, plus vaste, s’ouvrant aux nouvelles générations très engagées dans la vie sociale et culturelle. Elargissement déjà conseillé, en 1954, par Etienne Borne. Le MRP s’oriente vers la déconfessionnalisation et le recentrage politique qui conduisent à un certain abandon de l’idéologie, la notion de centrisme prenant le dessus sur le caractère spiritualiste, ce que semble avoir regretté à terme AD. De même, s’il est proche des partisans de la déconfessionnalisation de la CFTC, toutefois, vers la fin de sa vie, il prend conscience de la nécessité de transmettre l’héritage de la démocratie d’inspiration chrétienne.

Selon AD, l’élargissement du MRP le rendrait plus efficace et plus à même de rallier les réformateurs d’autant qu’il envisage alors l’éclatement de l’UDR. Ce thème est repris par Jean Lecanuet au Congrès du Touquet, le 9 mai 1964, au moment où beaucoup - notamment les Equipes Jeunes MRP mais aussi E. Borne et AD - espèrent la réussite de la Grande Fédération de Gaston Deferre, regroupant notamment la SFIO, les radicaux, le MRP). L’échec de cette entreprise en juin 1965, est « une cruelle déception. Après cela, il estime qu’« il n’y a que Lecanuet, dont il admire la mécanique intellectuelle, pour sauver le navire du naufrage ».

« S’accommodant d’un centre basculant à droite », il participe activement à la campagne présidentielle de Jean Lecanuet. Il ne semble pas avoir voté pour François Mitterrand au second tour.

Peu après, son adhésion au Centre démocrate (CD) semble normale. Membre des comités directeurs départemental et national (et bientôt secrétaire général adjoint), il refuse un élargissement du CD nettement orienté à gauche, mais dénonce toutefois l’intrusion en son sein d’éléments d’extrême droite dont il s’emploie à combattre l’influence. AD un peu en porte-à-faux car le parti est clairement au centre droit alors que la fédération du Nord est plutôt attirée vers le centre gauche et réticente au rapprochement avec le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) de Bertrand Motte, héritier de la grande dynastie industrielle de Roubaix.

Qu’a-t-il pensé en Mai 1968 ? Est-il sur la même ligne que Lecanuet, prêt à gouverner avec Mendès France ou est-il plus attentiste comme bien des élus du PDM (groupe parlementaire centriste à l’Assemblée nationale) ?

AD soutient la candidature d’Alain Poher en 1969 mais il semble moins défavorable que Jean Lecanuet ou Pierre Abelin à l’ouverture préconisée par Pompidou et à la Nouvelle société de Jacques Chaban-Delmas qu’acceptent Jacques Duhamel et quelques autres qui fondent alors le Centre Démocratie et Progrès (CDP). Le CD s’associe au Parti radical de Jean-Jacques Servan-Schreiber dans le Mouvement des Réformateurs (1971), dans une démarche d’opposition à la majorité pompidolienne. AD vante « l’imagination » de JJSS, mais il craint que le CD ne se dissolve dans cet ensemble et pour l’éviter il propose une organisation confédérale pour le mouvement, lors de la convention nationale de Mulhouse (26-28 octobre 1973).

Après les élections législatives de 1973 lors desquelles il y a un accord de désistement pour le second tour entre la majorité pompidolienne et les Réformateurs, on lui propose un portefeuille, mais il décline cette offre. Un peu plus tard, JJSS et Lecanuet ont pensé à lui, un temps, comme candidat à la future présidentielle.

Qu’a-t-il voté au premier tour de l’élection présidentielle de 1974, consécutive au décès de Georges Pompidou : Emile Muller  (Réformateur, socialiste anti-Programme commun), Valéry Giscard d’Estaing (comme Lecanuet), Chaban-Delmas comme le CDP ? Il a dit à Bruno Béthouart se sentir proche de Chaban-Delmas et l’on sait qu’il n’a pas voté Mitterrand. Toujours est-il que la séance du conseil politique du CD du 10 avril 1974 a été houleuse : AD et Jacques Pelletier souhaiteraient que le parti et les Réformateurs aillent à la bataille sous leur drapeau avec Lecanuet (préférence d’AD) ou Poher, à défaut d’Edgar Faure, et refusent que le centre gauche fasse alliance avec la droite.

.Ils ne sont pas suivis. Au second tour, les deux formations centristes - et AD « essentiellement par discipline de parti » - soutiennent VGE. Cela annonce une prochaine fusion

 

3 Le Centre des démocrates sociaux (CDS)

Elle est réalisée lors du congrès de Rennes, réunis du 21 au 23 mai 1976. Elle doit beaucoup à AD : premier secrétaire de la Fédération des Réformateurs, vice président national délégué du CD qui fait partie de la délégation CD qui rencontre celle du CDP en 1976 dans cette perspective. A Rennes, AD, qui devient vice-président du CDS, présente un rapport sur les institutions. Il affirme également que le nouveau mouvement doit correspondre à la « nécessité d’un ressourcement continuel, d’un idéal qui est une raison de vivre » comme le rappellent deux dissidents soviétiques célèbres, Plioutch et Soljenitsyne qu’il cite :

 

                 Vous vous complaisez dans l’opulence. Vous vous battez pour des futilités. Vos divisions secondaires, votre conception débridée de la liberté, le vide de vos principes et de vos idéaux, tout cela est en train de vous perdre.

 

En 1978, le CDS intègre l’UDF, le parti de VGE alors que Jacques Chirac a fondé 2 ans plus tôt le RPR en guérilla permanente avec ses partenaires de la majorité.

Entre 1977 et 1983, AD, secrétaire général du CDS qui est un parti de cadres peu portés à la discipline interne, se comporte en homme de dialogue qui entretient une réelle proximité avec les militants. Le CDS se veut « l’aile sociale du camp conservateur ». Comme Bernard Stasi, il conçoit alors son parti comme une « structure d’accueil franchement au centre gauche ». Beaucoup de militants adhèrent à cette conception à la différence des élus qui sont souvent des notables locaux ». Les équipes syndicales, créées à l’image des équipes ouvrières du MRP, doivent contribuer à cette ambition sociale. AD, peut-être aiguillonné par le dynamisme de l’équipe syndicale du Nord et par les milieux d’action catholique, la rappelle constamment dans ses rapports de politique générale et fait de multiples propositions revaloriser les bas salaires, d rémunérer la mère au foyer, d favoriser l’accès à la propriété individuelle, réformer l’entreprise, imposer les grandes fortunes, promouvoir l’école maternelle. De même y sont régulièrement évoquées :

la fidélité du CDS à ses idéaux (démocratie, droits de l’homme, tolérance, réformisme social, Europe, liberté de l’enseignement)

l’appartenance justifiée du CDS à l’UDF mais cette participation ne signifie pas inconditionnalité ;

le renforcement de la construction européenne ;

le soutien à l’alliance atlantique qui doit reposer sur deux piliers, un américain, un européen ;

le choix « contre nature » du PS de s’allier avec le PCF, alors que le pays a besoin d’un parti socialiste solide, mais lucide (Strasbourg 1980) ;

Après l’échec de VGE en 1981 - auquel AD adresse une lettre de remerciement -, le CDS connaît une radicalisation à droite de son discours qui est illustrée par l’accession à la présidence du parti de Pierre Méhaignerie, pour lequel le groupe UC du Sénat a pesé de tout son poids, contre Bernard Stasi lors du congrès de Versailles en 1982. Cela satisfait-il AD qui est réélu pour un ultime mandat ?

A partir de 1983 et son départ du secrétariat général, il semble moins présent dans les instances dirigeantes (même s’il devient membre du comité exécutif en 1986). Il se consacre à Roubaix où a toute latitude avec son parti qui n’est pas pour lui une priorité et dont il ne fréquente guère les réunions. Il se comporter de façon autonome, à l’image d’un René Monory - avec lequel il s’entend bien et dont il apprécie la carrière de self made man - alors que l’incertitude identitaire du CDS se confirme : poursuite de l’inflexion à droite, puis retour aux sources (1989-1992), puis forte participation au gouvernement Balladur (1993-1995).

Que pense-t-il de cette errance doctrinale, lui dont les collègues de la Chambre haute ont pris leurs distances – notamment financières – avec la direction du CDS dont ils regrettent l’exil au Palais-Bourbon ?

La plateforme RPR-UDF pour les élections législatives de 1986 qui professe un libéralisme prononcé, lui convient-elle alors que depuis 1984, avec le gouvernement Fabius, on constate une certaine « décrispation » de la vie politique française ? Il semble alors ronger son frein, être à la recherche du MRP perdu.

Lors de l’élection partielle de mars 1988 dans le canton Lille-Ouest, bastion chrétien-démocrate, AD soutient, comme plusieurs maires du canton anciens MRP, Jeannine Delfosse, la veuve de Georges Delfosse, candidate CDS contre Jean-Jacques Descamps, candidat PR, membre du gouvernement ! 

Comme son parti, il est favorable à la candidature de Raymond Barre, dont il apprécie la conception morale du politique[2], à l’élection présidentielle de 1988. Qu’a-t-il voté au second tour de l’élection présidentielle de 1988 ? Par fidélité et légitimiste, Denis Vinckier pense qu’il a voté Chirac.

Après la réélection de François Mitterrand, le CDS a tenté une conciliation autour du réformisme de Michel Rocard. L’opération a échoué mais le CDS refuse d’opposition systématique. AD lui-même est approché pour être ministre en 1988, mais il ne donne pas suite à cette proposition. Comme à chaque fois, des raisons personnelles et familiales - le handicap de sa fille unique – le conduisent à décliner l’offre.

Comme son collègue Jean Arthuis, il n’est sans doute pas hostile à la création du groupe parlementaire UDC à l’Assemblée nationale (1988) qui fait pendant à celui du Sénat et entend mener une opposition constructive et réfléchie tout en étant fidèle aux alliés politiques traditionnels. Cela préfigure le choix de l’autonomie électorale et de la rénovation entériné au congrès de Lille tenu en 1989 où AD prononce un discours remarqué. En 1989, encore, AD songe au barriste Bruno Durieux pour lui succéder à la mairie de Roubaix.

La Croix, le 20 octobre 1990, propose un schéma du « paysage politique centriste » où AD est situé parmi les piliers, à proximité du président Méhaignerie, mais un peu plus à gauche et moins défavorable à l’autonomie du CDS ce qui peut susciter quelques interrogations. En 1989, fait-il partie des « frondeurs » qui veulent remplacer Alain Poher au « plateau » qui est finalement élu grâce aux voix du RPR ? Que pense-t-il de la tentative des « rénovateurs en 1990 au sein du CDS (Baudis, Bayrou, Bosson face à Méhaignerie et Barrot) mais aussi au sein de l’UDF ?

Vote-t-il Balladur puis Chirac en 1995 ? Année qui voit la naissance de Force Démocrate.

 

4 Force démocrate

La transformation du CDS et du PSD en Force démocrate, initiée par François Bayrou, ne l’enthousiasme guère au départ mais elle est entérinée lors du congrès de Lyon les 24 et 25 novembre 1995 et reçoit son acquiescement. Dans son intervention au congrès, il a estimé qu’il ne fallait pas « rougir de l’héritage » mais qu’un examen de conscience, un retour aux valeurs (famille, Europe, véritable démocratie, progrès social) lui semblaient nécessaires en raison de « l’immense vide idéologique, politique, spirituel, doctrinal dans lequel nous vivons », alors que se dressent de nouveaux défis comme ceux de la bioéthique et de la communication.

Mais il se tient en retrait : alors qu’il a toujours été président de la fédération CDS du Nord, une des plus importantes en nombre de militants, il cède la place à Marc-Philippe Daubresse pour Force démocrate. Toutefois, il participe à des groupes de travail.

Encore, à la fin de sa vie, lors d’une rencontre organisée par Denis Vinckier, il adjure, une nouvelle fois, François Bayrou, devenu président de la Nouvelle UDF en 1998, de ne céder devant rien ni personne afin que le centre d’inspiration chrétienne demeure lui-même. Cette démarche est conforme à tous ses engagements antérieurs.

 

B Des engagements courageux et avant-gardistes qui pourraient, un peu, en faire l’homme des nouvelles frontières chères à John Kennedy.

Son adhésion à un parti ne l’empêche pas de garder son indépendance et sa liberté d’esprit.

-La décolonisation et l’Algérie

AD et le MRP septentrional ont une approche ouverte de la question coloniale. Son séjour au Maghreb en 1940-1942 a sans doute contribué à son ouverture d’esprit et à sa sensibilité sur cette question, renforcées plus tard par la forte présence de travailleurs nord-africains dans la région du Nord, parmi lesquels l’influence politique du mouvement nationaliste, surtout le MNA va crescendo.

Au cours de la guerre d’Algérie (Jean-René Genty), la pratique de la torture le révolte très tôt et le détournement de l’avion de Ben Bella l’indigne. Bientôt, il entre en contact avec Messali Hadj (MNA), qu’il a connu au temps du MTLD, afin de dialoguer et de trouver une solution pour l’Algérie avec les Algériens eux-mêmes, sans exclusive (sans privilégier le FLN). AD est également en rapport avec des proches d’Edmond Michelet, ministre de la Justice dans le gouvernement Debré : la journaliste anticolonialiste Claude Gérard, l’historien Joseph Rovan. Il rencontre en juillet 1959, Olivier Guichard, membre du cabinet de la présidence de la République. Il effectue plusieurs séjours en Algérie en 1959 et sans doute un en 1961 où il aurait vu des chefs de Wilaya.

La situation des Harkis, l’après-indépendance de l’Algérie le préoccupent et sa participation à la création d’un comité local de l’association France-Algérie est significative. Son désaccord avec Bidault sur l’Algérie, ne l’empêche pas de le respecter jusqu’au bout. Ces prises de position sont à mettre en rapport avec la volonté de générosité à l’égard du Tiers Monde de celui qui est membre du centre des citoyens du monde du nord de la France.

 

- L’élection du président de la République au suffrage universel. Après avoir lu les écrits d’André Philipe, cette réforme lui semble pertinente. Mais il se soumet à la décision majoritaire du MRP qui préconise le non au référendum. En 1976, dans son rapport sur les institutions au congrès de Rennes (mai 1976), AD se prononce pour un véritable régime présidentiel avec le scrutin proportionnel afin d’atténuer les dangers de la bipolarisation, conséquence d’ « un scrutin de gladiateurs » qui coupe la France en deux.

 

- Les médias. Très tôt, ils ont fait partie de ses centres d’intérêt dès l’époque de la Résistance. Il a rassemblé à leur sujet une documentation impressionnante et en est devenu un spécialiste, notamment de la télévision (ouvrages, projets législatifs, rapports, membre de commissions ; 1972 : dénonciation du scandale de la publicité clandestine à l’ORTF). Droit à une information plurielle pour tous les citoyens, démocratisation de l’information, garanties démocratiques et libérales encadrant la radiotélévision, sont essentielles pour lui qui estime que le journal est moins une affaire qu’un service public avec des droits reconnus pour les sociétés des rédacteurs. Plus tard, il se bat, en tant que maire, pour faire de Roubaix « la capitale de la communication en Europe » grâce à l’Euro téléport inauguré en avril 1974.

 

-L’écologie.

Son importance ne lui échappe pas. Il la met en rapport avec les écrits de François d’Assise (comme le fait le pape François dans l’encyclique Laudato Si, 24 mai 2015) et avec l’action de l’abbé Lemire, créateur des Jardins ouvriers. Selon lui, « la qualité de la vie est un besoin essentiel de la société moderne, elle est un des fondements de « la civilisation humaniste » ; il convient de tendre « vers un mode de vie plus communautaire, plus épanouissant et plus authentique, une nouvelle croissance. Le CDS inspire la déclaration de l’UDF en vue des élections législatives de 1978 qui entend :

 

mettre en œuvre une nouvelle croissance, plus économe en matières premières, davantage respectueuse de l’environnement (…) et qui privilégie les préoccupations qualitatives.

 

-La démocratie participative.

Dès la campagne électorale municipale de 1977, puis à nouveau en 1983, un patient travail de terrain est réalisé jetant les bases d’une organisation participative exemplaire. Maire, il met en place des comités de quartiers qui sont dotés de véritables moyens de fonctionnement et seront dans certains cas de véritables contre-pouvoirs.

 

C L’engagement électoral (je vous renvoie à la communication de Christophe Bellon).

 

-local

En 1947, à 28 ans, il et élu conseiller municipal sur la liste socialo-centriste conduite par Victor Provo et, à ses côtés, il sera réélu sans discontinuer jusqu’en 1977, occupant les fonctions d’adjoint au maire à la jeunesse et aux sports (1949 et 1953), aux affaires économiques et sociales (1965-1977).

Conseiller régional de 1972 à 1977 puis de 1986 à 1989,  maire de 1983 à 1994, après avoir échoué en 1977 (47%), il redevient simple conseiller municipal de 1994 à 2001, cumulant parfois ces fonctions avec celles de conseiller communautaire (1983-1989, 1994-2001)

-national

Député (1958-1962).

Sénateur de la Communauté (1959-1961).

Sénateur (1965-1974 ; 1983-2001). La répugnance au conflit l’a sans doute, en partie, conduit au Sénat dont il apprécie l’atmosphère de courtoisie, la sagesse des élus qui ont accumulé une expérience dans les mandats locaux et sont des pragmatiques. « A l’Assemblée, on s’excite ; au Sénat, on médite » aime-t-il à dire. Comme Jean Lecanuet, AD est très attaché au rôle que doit jouer la Chambre haute.

-Député européen (1979-1984). Il s’est impliqué totalement dans la campagne électorale, critiquant vivement les gaullistes et leur leader Jacques Chirac pour ses déclarations sur le parti de l’étranger.

 

Une relative marginalité par rapport au discours dominant dans sa mouvance politique, une certaine capacité d’anticipation et une grande rectitude dans l’exercice de ses différentes fonctions lui confèrent…

 

III Un positionnement original

A Ferveur et lucidité d’un humaniste chrétien

Sa foi semble inébranlable. C’est un héritage familial et une option personnelle assumée.

Celui dont le mariage en 1948 a été béni par le pape Pie XII a une lecture généreuse et optimiste de l’Evangile. Hostile au cléricalisme, il est volontiers critique à l’encontre de la hiérarchie ecclésiale, devant l’attitude de la majorité des chrétiens, en retard ou mal positionnés sur bien des questions. Catholique pratiquant, sans ostentation (contrairement à son père) - sa foi reste du domaine de l’intime -, il participe ponctuellement au groupe de spiritualité des parlementaires français. Le texte des Béatitudes est son point d’ancrage spirituel essentiel : générosité, esprit de dialogue, sensibilité à l’injustice, importance du pardon.

Humaniste d’inspiration chrétienne, très influencé par Etienne Borne, il est attaché à la dignité et à la liberté de la personne humaine d’où son appartenance au mouvement « Economie et humanisme » (1941-2007) - association catholique qui a développé le concept d’économie humaine visant à promouvoir une civilisation solidaire, orientée vers les plus faibles et consciente des enjeux écologiques. Ses multiples combats  pour la justice, pour les droits de l’homme, contre la torture, contre la faim et la misère dans le monde, son empathie pour le « malheur innocent », son engagement à côté d’Emmaüs et d’ATD Quart Monde, sa proximité avec l’abbé Pierre, le père Joseph Wresinski et Geneviève Anthonioz-De Gaulle, mais aussi le père Guy Gilbert ou sœur Emmanuelle[3] ne sont pas étonnants, tout comme son action pour les handicapés, cause qui le concerne personnellement[4].

Il entend faire de la politique et tenir compte des réalités, sans perdre de vue les exigences d’une action inspirée par l’Evangile, mais il insiste sur la distance qui sépare Eglise et politique.

Conformément au personnalisme communautaire, il pense que face à la misère, il faut aider les personnes à se prendre en main et mener une action volontariste au niveau des pouvoirs publics.

Son honnêteté et la dimension éthique qu’il attache à l’action politique sont aussi caractéristiques de sa personnalité. Ainsi, il reconnaît qu’il aurait voté contre la loi Veil, mais il s’incline devant son adoption. En 1972, il dénonce le scandale de la publicité clandestine à la TV. En 1986, il dénonce les procédés frauduleux utilisés par les partis pour se financer et demande l’introduction de leur financement public.

 

« Mon engagement politique est un sacerdoce, une mission permanente, une pénitence de mes péchés de jeunesse » : cette déclaration d’AD signifie don de soi, déni de l’intérêt personnel et rappelle que chez de nombreux responsables centristes,  la politique s’apparente à un devoir, à « un apostolat, ou un sacerdoce ». Il aime d’ailleurs à citer Pie X selon lequel « l’action politique est la forme la plus haute de la charité ».

 

B Tolérance, (ré) conciliation, rassemblement

Homme de principe, profondément moral, mais inflexible sur certaines questions, AD est un personnage pittoresque, attachant, atypique, qui joue de l’ambiguïté de son affiliation politique.

et mène à Roubaix un travail permanent de dépolitisation. Quand il déclare - « On ne sait jamais si on a totalement raison, mais on sait si l’on est vraiment sincère et si l’on a su rester fidèle à sa part de vérité » - ou quand il cite Albert Camus - « On ne décide pas de la vérité d’une pensée selon qu’elle est à droite ou à gauche et encore moins selon ce que la droite ou la gauche décide d’en faire » - , on comprend qu’il doute, qu’il croit moins aux systèmes qu’aux hommes d’où l’importance de quelques conseillers écoutés (Jules Clauwaert, Claude Beaufort, le professeur Ribet) et son inclination pour la tolérance et la concertation que l’on voit notamment dans son rapport avec la droite et la gauche dont il souhaiterait dépasser les frontières.

 

1*A droite et à gauche, entre la droite et la gauche

AD se sent proche des démocrates-chrétiens de 1848 qu’il présente «  entre deux chaises, peut-être, mais toujours debout ! ». Il peut faire siens les propos du docteur Defaux à propos du Sillon : « Nous ne sommes ni à droite, ni à gauche, mais en avant ». Il est à gauche avec les gens de droite, à droite avec les gens de gauche. Cela n’est pas sans rappeler la formule de Georges Bidault à propos du MRP qui entend « Faire une politique de gauche avec des électeurs de droite ».

Le souvenir de l’union, par delà les clivages, dans un combat commun au temps de la Résistance est important pour lui. Le tripartisme, qui regroupe les 3 principaux partis, même le PCF s’est imposé, selon lui, en raison des circonstances, mais la Troisième Force (entente SFIO, Radicaux, MRP) a ses préférences car elle correspond à l’espoir d’une forme de travaillisme qui se réalise concrètement à Roubaix pendant de longues années.

Comme Jean Catrice, il a beaucoup de sympathie pour PMF, surtout dans les premiers mois de son gouvernement, mais il est ensuite refroidi quand il ne veut pas s’engager pour la CED. (« tiédeur européenne »). L’impossibilité du travaillisme au niveau national entre 1962 et 1965, comme le montre l’échec de la Grande Fédération avec Defferre, est pour lui une grande déception.

En 1971, il ne répond pas à la suggestion de Pierre Mauroy de rejoindre le PS, même si l’idée lui a furtivement traversé l’esprit. En fait, la coopération avec le PS lui semble impossible en raison de la signature du programme commun. Ainsi, il n’a pas répondu à l’appel de nombreux socialistes lui demandant de soutenir François Mitterrand au premier tour de l’élection présidentielle de 1974 et il s’oppose fermement à lui en 1981 car, à chaque fois, il estime que ce dernier, en cas de victoire, serait soumis au contrôle du PCF. Peut-être avait-il raison en 1974, mais il se trompait en 1981.

Sans doute est-il moins hostile que Jean Lecanuet au recentrage envisagé par Mitterrand en 1985 entre centristes et socialistes. Que pense AD de cette idée d’une transgression des frontières, lui qui, face à la montée du Front national, opère aussitôt la distinction entre extrême droite et socialisme acceptant la démocratie libérale et appelle à voter, dans une élection cantonale à Roubaix en 1985, pour le candidat PS contre celui du FN ?

On peut penser que son soutien au second gouvernement Chirac n’est guère enthousiaste ? Qu’a-t-il voté AD au second tour des présidentielles de 1988 ?

En 1988, nous l’avons déjà signalé, il est approché pour entrer dans le gouvernement de Michel Rocard et un accord PS-CDS st envisagé pour les municipales de 1989 à Roubaix. Travailler avec un Michel Rocard ou un Jacques Delors, animés comme le CDS par un humanisme d’inspiration chrétienne serait plausible.

Cela nous rappelle la proximité d’AD avec les chrétiens progressistes et les protestants comme Michel Rocard qui le nomme à la Commission nationale du DSQ, puis au Haut conseil à l’intégration. A cet égard, sa proximité avec Maurice Walker, sénateur du Nord, patron d’origine écossaise, protestant, arrivé à la politique par l’action sociale doit être signalée.

Cette proximité avec la gauche socialiste soulignée par sa participation durable à une municipalité de Troisième Force va de pair avec un certain antigaullisme, certes, mais aussi avec un anticommunisme fondamental, à notre avis insuffisamment souligné même s’il est moindre que celui de Jean Lecanuet. Rappelons que l’anticommunisme devient une des composantes majeures de l’idée européenne. AD critique la politique extérieure agressive de l’URSS, s’engage en faveur des dissidents du bloc de l’Est et du boycott des JO de Moscou (1980). Toutefois, est-il sans doute à l’unisson de bien des militants proches des catholiques de gauche ou des militants socialistes, et ressentent avec les communistes une certaine proximité dans l’aide aux plus pauvres.

 

Dans la métropole, une certaine proximité est évidente avec Pierre Mauroy. Il contribue à son élection à la présidence du conseil régional en 1973. Quand AD lui aurait demandé quelle grande pointure socialiste il envisageait d’envoyer à Roubaix pour reconquérir la ville en 1989, le maire de Lille lui aurait répondu : "Qui voyez-vous de plus socialiste à Roubaix qu’André Diligent ? "

Même s’il conquiert la mairie de Roubaix en 1983 après une campagne électorale nettement marquée à droite, il souhaite atténuer le clivage avec la gauche. Aussitôt après, deux postes d’adjoints sont proposés au PS qui décline cette offre. Il entretient des relations amicales avec le leader communiste local Emile Duhamel ainsi qu’avec Marie-Christine Blandin la présidente écologiste du Conseil régional du Nord – Pas-de-Calais.

A Roubaix, ce positionnement original, entre la gauche et la droite, est favorisé par la porosité des frontières politiques, elle-même propice à un certain apolitisme qui tend à nier les frontières partisanes

 

2*Apolitisme revendiqué à Roubaix dans l’espoir de rassembler

Son slogan pour les élections municipales de 1989 « Mon parti, c’est Roubaix » parle de lui-même.  Au nom de la nécessaire mobilisation de tous au service de la ville, il refuse les clivages partisans Cette recherche du consensus est une rémanence de l’ambition travailliste de la Libération et surtout de la Troisième Force, élément marquant de la culture et de la tradition politiques locales.

Le nouveau maire développe très rapidement une rhétorique a-politique et entretient un climat de courtoisie au sein du conseil municipal. Ses succès en 1983 et 1989 ne font pas de Roubaix une ville de droite, elles sont dues à sa personnalité et à son action qui font qu’il n’est pas l’élu des seuls beaux quartiers.

Le « diligentisme » relève d’un art consommé du consensus et de la « dé-conflictualisation » dans l’ancienne cité symbole de la lutte des classes (Rémi Lefebvre) !

AD incarne la pérennité de la tradition centriste et son apolitisme lui permet d’élargir son électorat. Ce faisant, il acquiert une stature de conscience politique qui lui confère une légitimité transcendant les clivages et lui permet de rassembler la population, ce qui n’est pas toujours évident.

 

3*La problématique du rassemblement

  • Les relations avec De Gaulle qui veut rassembler les Français

 

« Je considère De Gaulle comme le plus grand homme du siècle, et de loin ». AD n’a jamais été un antigaulliste primaire et se montre souvent moins antigaulliste que la ligne développée par les partis centristes et des leaders comme Lecanuet ou Abelin. Il fait la distinction entre le Général et les gaullistes, type Sanguinetti, Il y a avec De Gaulle quelques points de convergence et tout d’abord, sur le plan personnel, le partage de la même foi, le fait d’être tous deux le père d’une enfant handicapée ou encore la proximité avec Geneviève Anthonioz-De Gaulle.

Des liens politiques ont également pu exister.

    • La municipalité roubaisienne de Troisième Force, emmenée par le socialiste Victor Provo et à laquelle il participe, comprend, jusqu’en 1962, des gaullistes.
    • Aux élections législatives de 1958, l’UNR ne lui oppose pas de candidat.
  • Proximité à propos de l’Algérie.
  • Proximité idéologique : 1947, De Gaulle déclare à Marc Sangnier : « Vous êtes le père spirituel du MRP, j’en suis le père nourricier ». De Gaulle lui aussi souhaite dépasser l’opposition droite–gauche.
  • Proximité sur le plan économique et social : corriger les excès du capitalisme par la participation, l’Etat-providence, l’intervention de l’Etat. Bien des points se retrouvent dans le referendum de 1969, l’affaiblissement du Sénat le pousse à voter non, même si, lui aussi, préconise une représentation des forces vives de la nation, représentant les groupes sociaux, économiques et professionnels.

 

Mais les divergences sont profondes dans plusieurs domaines primordiaux.

*Les conceptions constitutionnelles : AD désire plus de pouvoir pour le Parlement,  plus de reconnaissance pour les partis politiques, plus d’autonomie de la radio-télévision d’Etat par rapport au pouvoir.

*L’arme nucléaire : européen convaincu, AD est réticent à une approche uniquement française de cette question.

*Rapports avec USA : AD qui n’oublie ni 1917 ni 1942, est favorable à l’alliance atlantique mais il est pour une Europe forte face aux USA.

          *L’Europe : AD la voudrait plus intégrée et plus puissante mais il estime que l’on caricature les idées De Gaulle sur l’Europe sont caricaturées et que les gaullistes les instrumentalisent.

 

  • L’engagement européen d’AD pour rassembler dans la construction de la paix et de l’unité

 

Cette ambition européenne est conforme à sa foi d’André Diligent et à son bagage idéologique. Les catholiques sociaux qui font partie de son panthéon la partageaient déjà. Cette action des démocrates chrétiens en faveur de la construction européenne par le dépassement des rivalités nationales est encouragée par Pie XII.

Pour AD, l’Europe, respectueuse des cultures et des patries, est un moyen de se dépasser, d’affronter les défis de l’avenir, de discipliner les multinationales et elle constitue l’espoir du tiers-monde.

Député européen de 1979 à 1984, il s’est investi notamment dans les problèmes de sécurité et de défense. Il s’est investi aussi au sein du PPE, dans des groupes de travail qu’il a animés et dont les réflexions ont débouché sur un texte programmatique. Peuvent être retenus : une véritable constitution, une politique économique et sociale véritablement solidaire et soucieuse de l’environnement, l’approfondissement des rapports entre l’Assemblée de Strasbourg et les parlements nationaux - sujet à propos duquel son collègue et ami belge Charles-Ferdinand Nothomb a proposé un certain nombre de pistes.

En 1992, il milite ardemment en faveur du oui au traité de Maastricht notamment en intervenant au Sénat le 10 juin. Evidente est sa proximité avec Jacques Delors qui reconnaît lui-même que son action à la présidence de la Commission de Bruxelles « a été accomplie en relation avec sa foi ». D’ailleurs, AD a confié à Bruno Béthouart que si l’ancien militant CFDT avait été candidat à l’élection présidentielle de 1995, il aurait voté pour lui.

 

La dernière composante de l’originalité d’AD est…

 

C L’enracinement local

1*Un maire qui se donne à sa ville

 

Je suis entré à la mairie comme on entre en religion. Je couche avec Roubaix, je mange avec Roubaix, je me lève avec Roubaix. Je n’ai pas d’autres divertissements au sens pascalien du terme. (NE 4 avril 1992)

 

Cette personnalité chaleureuse et impressionnante, à l’accent marqué, entretient une relation de proximité avec la population et le tissu associatif. Son attachement à Roubaix lui confère une grande popularité qui s’appuie sur un apolitisme et un particularisme revendiqués, un particularisme teinté d’anti-parisianisme qui semble ériger une certaine frontière ! Rémi Lefebvre note finement que « Face à ce don de l’élu en apparence gratuit, le vote peut apparaître comme un contre-don pour des électeurs qui deviennent moralement obligés, endettés envers l’élu ».

Au-delà de sa ville, c’est aussi sa région natale qu’il entend défendre à l’Assemblée nationale puis au Sénat, dans de multiples interventions,

 

2*Un maire qui réactive la conscience communale

Cette réactivation s’opère à travers la rhétorique qui s’appuie sur l’histoire (légendaire), sur l’invention permanente de la population comme entité collective (caractérisée par le patriotisme, l’ardeur au travail, l’esprit d’entreprise), sur le refus de la dilution de Roubaix dans un grand espace lillois. Roubaix dont il aurait aimé pouvoir écrire une histoire et qu’il évoque avec affection dans la préface de l’ouvrage d’Y.-M. Hilaire, Histoire de Roubaix.

 

Ainsi met-il à l’honneur Louis Loucheur et lutte-t-il pour le renforcement du versant nord-est de la métropole (octobre 1985, occupation de la préfecture), Après 1989, le débat métropolitain s’apaise mais, en 1994, AD fait voter un amendement instituant la représentation intégrale des communes à la communauté urbaine de Lille, malgré l’opposition de Pierre Mauroy auquel il recommande de respecter la maxime de Jacques Maritain : distinguer pour unir.

 

3*Un maire qui rassemble : l’arbitre, le capitaine et le praticien de l’« intégration tolérante ».

Il se dépense sans compter pour soigner « une ville en déclin et en état d’urgence ». La ville et l’Etat suppléent une industrie défaillante ; pouvant moins compter sur des syndicats affaiblis, la ville s’appuie sur le tissu associatif, sur la participation effective des citoyennes et des citoyens et sur l’intégration d’une jeunesse multiethnique.

Le maire mène une nouvelle politique urbaine, réhabilite les quartiers défavorisés mais aussi le centre-ville pour rendre à ses concitoyens leur fierté et les faire vivre ensemble.

 

« La considération envers chacun, le refus du laxisme et le refus de l’angélisme, le bon sens, le cœur, mais aussi la détermination » et encore une approche pragmatique sont, selon lui, les bons procédés pour réussir l’intégration.

 

Il devient un expert reconnu de ces sujets délicats comme l’illustrent ses différentes responsabilités  - président de la Commission nationale du DSQ (1987), vice-président du Conseil national des villes (1989), membre du Haut Conseil à l’intégration qui lui permettent d’être encore mieux entendu en haut lieu.

Ainsi après avoir obtenu l’installation de l’école nationale de police de Roubaix-Hem, il s’est battu avec succès pour qu’elle intègre dans ses effectifs des jeunes de l’immigration.

 

Pour les municipales de 1989, AD éloigne le RPR « dur «  Michel Ghysel, et fait figurer sur sa liste Salem Kacet (fils d’ouvrier kabyle, devenu cardiologue réputé) qui devient adjoint au maire, chargé de la Santé et qui incarne l’intégration tolérante. L’édification d’une mosquée est une autre manifestation de l’ouverture envers les musulmans et les Maghrébins. Les contacts autrefois noués avec les nationalistes algériens messalistes et ses prises de position dans le conflit algérien ont influencé et sans doute facilité son action ultérieure à la mairie de Roubaix.

 

 

Conclusion 

Chez AD, qui n’est pas un intrigant, il convient de distinguer le fond de la pensée et la reconnaissance pour les gens qui l’ont aidé ou avec lesquels il a collaboré, de tenir compte de sa fidélité à la doctrine et au parti - son légitimisme - qui l’empêche de franchir les frontières politiques. Il est à la recherche du MRP perdu et doit subir le recentrage du Centre démocrate puis le libéralisme de l’UDF, par discipline et du fait du mode de scrutin. En revanche à Roubaix, son apolitisme, son œuvre de dépolitisation et la porosité des frontières politiques lui permettent cette transgression tout en restant lui-même.

On peut admettre, après Bruno Béthouart, qu’à l’image de Jules Catoire, « la foi est la clé d’explication principale » d’AD, une foi plus en acte qu’en déclaration. Pour AD, qui « représente l'un des plus nobles témoins de la mystique démocrate chrétienne, dans le sillage de son père », il s'agit toujours d'être, avec ses amis politiques, « les bons témoins de l'efficacité sociale de [leur] foi sur le terrain démocratique »..

Cela semble confirmé par ces remarques de Rémi Lefebvre selon lequel « l’apolitisme d’AD résulte d’une certaine culture catholique, imprégnée de moralisme et d’esprit de concorde ». « Son rapport au politique – instance qui divise, radicalise les divergences plus qu’elle ne les réduit – est marqué par la contrition, la culpabilité, la quête de la réconciliation, la dénégation du conflit ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie (Quand le lieu d’édition n’est pas signalé, il s’agit de Paris)

 

André Diligent et autres leaders centristes

 

La Télévision. Progrès ou décadence ?, Hachette, 1965.

Les défis du futur, Fayard, 1977.

La charrue et l’étoile, Strasbourg, Ed. Coprur, 2000.

 

Bruno Béthouart, www.amicalemrp.org., « André Diligent, 1919-2002 », 2002.

 

Coralie Ammeloot, André Diligent (1919-2002). Paroles vécues, Lille, Les Lumières de Lille, 2009.

 

Journée d’étude André Diligent, (2012, 2013, 2014), Lille, Les Lumières de Lille, 2013, 2014, 2015.

 

Jacques Barrot, Christophe Bellon, De l’indignation à l’engagement. Foi et politique, Cerf, 2012. Ch. 6, « André Diligent, un humaniste populaire (1909-2002) », p. 77-89.

 

Denis Vinckier, Le jeu des 7 familles centristes du Nord, Préface de Valérie Létard, Lille, Les Lumières de Lille, 2016, ch. 1, « La famille Dinosaure », p. 53-109.

 

  1. Béthouart, Jules Catoire (1899-1988), Arras, Artois Presses Université, Coll. Histoire, 1996.

 

Nadine-Josette Chaline, Jean Lecanuet, Beauchesne, 2000.

 

Partis politiques centristes

 

Stéphane Lepoudère, Le Centre démocrate, mémoire de science-politique de l’Université Paris 2, sous la diron de Roger-Gérard Schwartzenberg, 1974.

 

Jean-Marie Mayeur, Des Partis catholiques à la démocratie chrétienne. XIXe-XXe siècles, A. Colin, 1980.

 

Danièle Zeraffa, Du Mouvement républicain populaire au Centre des Démocrates sociaux. Aspects du discours centriste (1962-1978), thèse pour le doctorat d’histoire sous la diron de René Rémond, Paris X-Nanterre, 1983.

 

  1. Béthouart, Le MRP dans le Nord – Pas-de-Calais 1944-1967, Dunkerque, Westhoek-Ed. des Beffrois, 1984.

 

Sabine Chasseing, Les successeurs du MRP dans le Nord – Pas-de-Calais, mémoire de DEA sous la diron d’Yves-Marie Hilaire, Université Lille III – Charles-de-Gaulle, 1988.

 

Bernard Rocher et Valérie Lion, Le centre des démocrates sociaux, LGDJ, 1994.

 

Pierre Letamendia, Le Mouvement républicain populaire : histoire d’un grand parti français, Beauchesne, 1995.

 

Alain Gauduffe, Les démocrates chrétiens en France après le MRP : étude du Centre des démocrates sociaux (CDS) de 1976 à 1994, thèse pour le doctorat d’histoire sous la diron d’Hugues Portelli, Paris X Nanterre, 1995.

 

Julien Fretel, Militants catholiques en politique. La nouvelle UDF, thèse pour le doctorat en Science politique, sous la diron de Jacques Lagroye, Paris I Panthéon Sorbonne, département de Science politique, 2004.

 

Histoire politique locale

 

Béatrice Giblin-Delvallet, La région, territoires politiques. Le Nord – Pas-de-Calais, Fayard, 1990.

 

Rémi Lefebvre, « Le métier de maire à Roubaix. Etude d’un apprentissage à travers la succession d’André Diligent (mai 1994-juin 1995), Les Cahiers de Roubaix, no 4, 1999

 

Roubaix. 50 ans de transformations urbaines et de mutations sociales, Michel David, Bruno Duriez, Remi Lefebvre, Georges Voix (éds), Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, 2006) :

*Fabien Desage, « Roubaix et la construction de l’institution communautaire », p. 129-147 ;

*Remi Lefebvre, « La fabrique du consensus. Politisation et dépolitisation du jeu politique municipal », p. 85-96.

 

[1] Cette question a déjà été traitée par Bruno Béthouart, « Les origines d’un engagement, aux sources d’André Diligent », Journée d’étude André Diligent (Actes de la 1ère journée d’étude André Diligent du 3 février 2012), Lille, Les lumières de Lille, 2013, p. 17-33.

[2] le respect de la personne, la référence à l’Etat impartial régulateur et aménageur du territoire, le service de la communauté, le refus de la bipolarisation, la faveur pour l’économie sociale de marché.

[3] Il s’efforce d’être présent à Roubaix, le 17 octobre, pour la Journée du refus de la misère. (Denis Vinckier, op. cit., p. 73)],

[4] Fondateur avec Jacqueline Thome-Patenôtre (sénatrice puis députée radicale de la Seine-et-Oise devenue les Yvelines) du groupe d’études sur les problèmes de l’Enfance inadaptée. Intervention au congrès de l’Association nationale des directeurs d’établissements et services pour inadaptés (ANDESI) (11-12 mai 1978). Ibid. et Archives Diligent.

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